Du petit livre:
Les pièces polyphoniques de l'ordinaire de la messe sont tirées des mansucrits d'Apt et d'Ivrée édités par G. Gattin et F. Facchin (Polyphonic music of the 14th century). Le propre du jour de l'assomption est interprété d'après le manuscrit Lat. 9441 (Missel de Notre Dame de Paris), ainsi que du Lat. 17311 (Missel de Cambrai).
Nous avoins choisi une prononciation restituée du latin. Le principe ice est d'adopter pour le latin la même prononciation que pour la langue vernaculaire, q'on appelle aux XIVe et XV siècles le moyen francais, intermédier entre la langue d'oïl et les débuts du francais classique. (Pour de plus amples renseignements voir les travaux d'Olivier Bettens sur le site www.virga.org)
La musique à la cour du pape Clément VI (1432-1352)
Si la cour des papes d'Avignon est l'un des hauts lieux de la vie musicale en Occident au XIVe siècle, c'est d'abord parce qu'au Moyen Age, la musique ne se distingue guère de la liturgie. Les messes, les heures et l'ensemble des célébrations liturgiques cont accompagnées par le chant, dont la fonction est de souligner et d'embellir le verbe de Dieu. À la cour pontificale des années 1300 comme partout en Occident, les monodies du plain-chant, ce que nous désignons comme "chant grégorien", sont le fondement de la pratique musicale. Cependant, cette pratique, dont il ne faut pas oublier qu'elle est la normbe liturgique et le reste jusqu'à la fin du XVIII siècle, s'accompagne depuis le milieu du XIIe siècle de chants polyphoniques dans la complexité est croissante. L'essor de la polyphonie suscite néanmoins les critiques des autorités ecclésiastiques, qui considèrent que l'intelligibilité du texte est progressivement mise en cause par les raffinements de la musique. Cette opposition culmine ave la décrétale Docta sanctorum publiée par le pape Jean XXII (1316-1334), qui tente de limiter l'emploi de la polyphonie dans la liturgie. Au moment même où le pape s'érige contre les nouvelles pratiques musicales, il est aussi le dédicataire d'un motet polyphonique dont l'écriture rappelle aussi bien les parties polyphoniques des messes des grandes cathédrales de Flandres ou du nord de la France que les motets qui circulent à la cour de France ou à celle de Naples. À Avignon même, dans les années 1320, certains grands cardinaux commencent à recruter pour leurs chapelles des chantres septentrionaux formés à la pratique de cette musique qu'on appelle aujourd'hui conventionnellement ars nova, et qui s'appuie sur de nouveaux procédés d'écriture permettant de noter la hauteur et la durée des sons avec toujours plus de précision. En 1334, le pape Bênoit XII réforme la chapelle pontificale et nomme en 1336 le premier maître de chapelle, Pierre Sintier, qui prend en charge la vie musicale, liturgique mais aussi matérielle de l'ensemble formé par les douze chantres.
Lorsqu'il monte sur le trône de Pierre, en 1342, Clément VI se trouve donc au coeur d'un univers musical et liturgique en plein renouvellement, au sein duquel le plain-chant traditionnel se voit désormais occasionnellement orné d'une musique polyphonique savante. Le nouveau pape encourage de manière décisive l'essor de la polyphonie en orientant définitivement le recrutement des chantres vers la France du nord et les Flandres. La chapelle d'Avignon devient dans les années 1340 l'un des lieux les plus brillants de la vie musicale occidentale, et des professionnels aguerris à la liturgie et à la polyphonie dans les grandes maîtrises des cathédrales septentrionales y mênent désormais de véritables carrières culturales, recevant des gages quotidiens, mais aussi des dons en nature et des bénéfices ecclésiastiques. Cet engouement nouveau fait peu à peu de ces clerc spécialisés de véritables artistes qui se détachent du monde clérical dans lequel ils ont été formés. Le prestige de la chapelle pontificale d'Avignon à partir de Clément VI est tel que de nombreux princes tentent ensuite de recruter les chantres du pape, comme le roi d'Aragon en 1353, puis, en 1394, le duc de Bourgogne. Pendant toute la seconde moitié du XIVe siècle, sous l'impulsion de Clément VI, la chapelle d'Avignon est le centre de la vie musicale en Occident, et il faut le Grand Schisme et l'ascension de la chapelle du duc de Bourgogne pour qu'elle souffre la comparaison.
Clément VI est aussi le souverain qui dote la chapelle d'un espace prestigieux, propre à la performance musicale de haut niveau, la "Grande Chapelle" du Palais-Neuf. On se rappelle que le terme "chapelle" est en effet polysémique, et qu'il désigne à la fois un groupe d'hommes responsables de la liturgie -et désormais de la musique-, un ensemble d'objets et de reliques, et un lieu. Lorsque Clément VI entreprend d'agrandir le palais des papes pour lui donner l'allure qu'il garde encore aujourd'hui, il projette de faire réaliser, au premier étage de l'aile sud, une vaste chapelle palatine de 52 mètres de long sur 16 mètres de large, dont les voûtes culminent à près de 20 mètres, et à laquelle on accède par un escalier monumental et un portail ouvragé. Il dote richement la chapelle, dont on connaît l'inventaire, d'une centaine d'objets, de tissus et de manuscrits destinés à assurer son fonctionnement quotidien, et d'un budget placé sous la responsabilité du maître de chapelle.
Le développement de la chapelle pontificale de Clément VI s'inscrit dans une politique de représentation et de prestige. Le pape, qui est lui-même un savant de très haut niveau, ancient professeur de théologie à l'université de Paris, le prédicateur le plus réputé de son temps, encourage et soutient non seulement les musiciens, mais aussi les peintres ou les lettrés. Tandis que le poète Pétrarque ou le peintre Simone Martini séjournent sur les bords du Rhône, liés aux grands cardinaux mécènes italiens, Clément VI confie la décoration du palais des papes à Matteo Giovannetti et à son équipe. En moins de dix ans, le palais d'Avignon mais aussi sa résidence d'été, a Villeneuve-lès-Avignon, s'ornent de fresques dans le goût de la pittura nova qui se développe en Toscane, au même moment où Pierre de Besse, confesseur du pape, supervise la commande de manuscrits pour la bibliothèque pontificale. Dans ce contexte, le choix de rehausser le plain-chant par l'ars nova n'a rien d'un hasard, ce dont témoignent les manuscrits musicaux conservés. En effet, le répertoire polyphonique de la cour pontificale remonte précisément, en l'état actuel de nos connaissances, au règne de Clément VI, ainsi qu'en témoigne ce disque. C'est à lui qu'on peut rattacher les pièces les plus anciennes du manuscrit de la cathédrale d'Apt #16 bis, qui comporte en particulier un Kyrie tropé commencant par les mots Rex angelorum/Clemens pater, dont on peut penser qu'il était directement destiné au pape. C'est également à Clément VI que renvoie une partie du répertoire noté dans le manuscrit d'Ivea (Bibliotheque Capitulaire #115), comme le Gloria tropé Clemens deus artifex, ou le motet de Philippe de Vitry Petre Clemens/Lugentium succentur, qui sont des compositions jouant avec le nom du pape. Ce répertoire ne s'oppose pas à la pratique du plain-chant mais vient la compléter: à côté de la liturgie célébrant Dieu, se développe une sorte de para-liturgie, dont le faste retentit sur le souverain. La complexité de cette musique fait qu'elle ne peut être exécutée que par des professionnels d'haut niveau; sa maîtrise par la chapelle pontificale est donc une manifestation de puissance de la part d'un pape qui est aussi un prince. Plus encore, la superposition des voix, qui était critiqué par le décrétale de Jean XXII, devient un outil de communication, laissant tantôt émerger des mots clairement intelligibles, comme le nom du pape, et créant le plus souvent un effet d'enchevêtrement montrant à l'auditeur que quelque chose est en train de se dire sans qu'on puisse le saisir -comme une langue d'une nature supérieure, la langue des dieux et des souverains. Ainsi, l'ars nova voulue par Clément VI finit-elle par être emblématique d'une esthétique qui est aussi une politique, inaugurant une nouvelle proximité entre le prince et la musique.
Une oeuvre musicale au service de la politique de Clément VI
En mai 1342 l'archevêque Pierre Roger d'Egletons est élu pape et prend le nom de Clément VI. Sa prise de pouvoir ne fut pas simple: il dût très rapidement se justivier face à ses détracteurs, de la manière la plus ferme qui soit, afin de justivier sa légitimité au sein de la Nova Roma: la cité d'Avignon. Le Saint Empire, à travers son empereur, profite de ce changement de pape pour réitérer son opposition au siège d'Avignon. Le fait qu'il ne reconnaisse pas le pontife est considéré par ce dernier, comme un crime envers sa personne et envers le Christ lui-même. Ainsi, la désobéissance et la trahison font partie des actes considérés comme hérétiques.
Le peuple de Rome, quant à lui, se remet à espérer le retour du pontife dans l'Urbs, sur son siège séculier. Entre la fin de l'année 1342 et le début de l'année 1343, deux délégations romianes viennent successivement demander audience au pape afin de l'année 1343, deux délégations romaines viennent successivement demander audience au pape afin de lui soumettre une pétition (inter alia) du peuple romain lui demandant son retour dans l'Urbs. Tous les efforts se révéleront vains. Le siège s'installera de manière durable en Avignon: Clément VI voulant développer le palais pontifical de Benoît XII devenu inadapté à son gouût pour l'exercice de son pouvoir. Le projet se réalisera à partir de 1344 et se nommera l'Opus Novum.
Le droit de regard du pape sur le pouvoir temporel n'est plus une chose acquise. Dans l'année même de l'élection de Clément VI, Guillaume d'Ockham publie son Breviloquium de principatu tyrannico, également appelé Breviloquium de potastate papae, un réquisitoire contre le pouvoir tyrannique de la papauté qui rejette le principe de théocratie. L'ouvrage est rédigé en 1341-1342. Le plan de l'ouvrage se met en place à partir d'une violente critique de l'Église d'Avignon. Pour le philosophe, le siège de la papauté doit être considéré comme une déformation injustifiée de la véritable Église romaine.
Au même moment, un compositeur déjè illustre, Philippe de Vitry, lui dédie une oeuvre magistrale: le motet Petre Clemens / Lugentium siccentur / Non est inventus. Cette oeuvre est écrite pour trois voix dont deux voix égales et une teneur liturgique issue du verset "Non est similis illi" du graduel du commun d'un confesseur. Une dédicace situe l'oeuvre au alentour du temps de nöel 1342-1343. Cependant, cette oeuvre n'est en aucun cas une simple pièce d'éloge. Elle offre bien plus que cela. D'ailleurs, l'art musical se développe pour devenir sous Clément VI un réel art de rhétorique musical, un ars rhetorica musicalis.
La musique est donc là pour soutenir des actions polituqes, donner une démonstration complémentaire et unique de la légitimité du pouvoir en Avignon par ses capacité singulières à présenter des faits, mettre en relation les voix, les textes littéraires et leurs symboles.
-L'oeuvre et ses sources
La pièce n'existe que dans une seule source complète, le Codex d'Ivrea (Ivrea Biblioteca Capitolare J. IV 115). Cependant cette version date de la fin du XIVe siècle. Un autre manuscrit, le MS. 4195 de la Ostereiche National Bibliothek, recueil de sermons de Pierre Roger (nom de baptême du pape) et de Clément VI, se rpésente comme un livre d'écrits personnels du pape copié, semble-t-il, en Avignon à partir des années 1340. Il contient des sermons et divers écrit "prêchés" en consistoire, sur des thèmes politiques chers à Clément VI, comme la campagne qu'il menait contre Louis de Bavière, le prétendant au trône de l'empire, ou la réponse qu'il fit au peuple de Rome délivré, qui lui demandait le retour dans l'Urbs.
C'est a cet endroit, après le sermon Aperi labia mea (prônant que "là où se trouve le pape trouve Rome", écrit ver la fin de 1342) que se trouvent consignés les deux textes littéraires complets du motet Petre Clemens. Les textes musicaux ne sont pas copiés. Seuls les textes littéraires sont consignés. Pourtant, malgré ce manque sur le plan musical, cette source n'en est pas moins importante car elle renferme le texte inédit du ténor sur l'incipit "Non est [fuit] inventus similis illi". L'intérêt est d'autant plus grand que ce texte de Philippe de Vitry fait partie intégrante d'un livre personnel du pape et montre par conséquent l'importance que le motet pouvait revêtir aux yeux du pontife.
-Le symbolique
La structure poétique est basée sur deux textes écrits en vers décasyllabiques. Vitry utilise principalement des figures de la mythologie et des éléments allégoriques. Le sens, organisé avec finesse, est d'un très haut niveau intellectuel. Les allusions mythologiques sont nombreuses. Pour les auteurs tels que Vitry qui font partie d'un courant pré-humaniste, ces références à la mythologie classique dans l'écriture des textes sont incontournables.
On remarque généralement que pour les motets politiques en relation avec le monde de l'église que les trois voix ont un symbolique par leur propre position sur la partition. Ainsi le triplum (la voix la plus haute), représente le monde du ciel (allusion à la chaire de Saint-Pierre par la citation du graduel). Cette chaire est au coeur de toute la politique de la politique de la papauté d'Avignon. Etant donné que "le siège" de Pierre n'est pas dans la cité, mais est resté à Rome, les détracteurs en profitent pour stipuler que le siège de Clément n'est pas légitime. Vitry ici fait référence à l'office de célébration de cette chaire en citant la pièce grégorienne qui lui est dédiée "Iam bone pastor Petre Clemens accipe".
La voix du milieu, le duplum, représente celle des intermédiaires entre le ciel et la terre et fait référence au pontife Clément VI par le graduel du commun d'un pontife "Ecce sacerdos" et la dédicace "Clemens sextus sanctus factus divinitus". Le ténor, la voix la plus bass quant à elle symbolise le monde de la terre. Elle fait référence par la phrase "Non est inventus similis illi" [il n'existe persone du semblable à toi] au pontife qui est le chef suprême de l'Église sur la terre sans contestation possible. C'est également un rappel de la voix de duplum puisqu'il est issue du texte du graduel du Commun d'un confesseur.
En ce qui concerne le triplum: La première partie du texte traite des origine de notre pontife. Elle débute par le phrase de la dédicase "Petre Clemens tam re quam nomine". Par un jeu de mot Vitry expose le double sens que porte le nome du pontife: Clément de par son nom et clément par ses action. Par la suite, Philippe de Vitry, en bon hagiographe, nous présente le pape Clément protégé et entouré par les divinité grecques. Depuis sa naissance il est destiné à diriger l'Église.
Dans la deuxième partie du texte apparaît une thématique orientée sur la légitimité de Clément VI, assimilé en "Cephas", nom hébraïque de Saint-Pierre. Son pouvoir est universel, et dépasse les rancoeurs que certains entretiennent envers le siège d'Avignon. On peut y voir évidemment une insinuation de la phrase "Ibi Papa ubi Roma" (Là où se trouve le pape se trouve Rome), vu plus haut.
La suite du texte évoque le pouvoir de Clément, et plus précisément les orientations temporelles de sa politique comme monarque, prince, et serviteur. Encore une fois cette gradation dans la désignation de son pouvoir montre son pouvoir multiple, qu'il assume sur tous les fronts: des hautes sphères politiques au petit peuple. Tout ceci dans le contexte historique chargé de la Guerre de Cent Ans et de la mutation flagrante dans la considération du pouvoir papal, désignée par Vitry dans l'expression: "..., mais d'un monde malade, Serviteur, mais serviteur de délirants...". Cette expression très forte désignant les fous, les délirant, montre bien que les Puissant ont perdu la raison, ainsi que l'ordre des choses. Pour Clément, et pour Vitry son porte-parole, le pape est au-dessus de tout et tous ceux qui n'acceptent pas avec évidence cette règle de l'Église ne peuvent être considérés comme sains d'esprit.
Pour le Duplum: le texte de cette partie est intimement lié à celui du Triplum. Nous retrouvons tout d'abord une dédicace importante stipulant l'élection de Clément: Clemens sext[a] sanctus [factus] divinitus. Il est Clément le sixième, avec l'approbation de Dieu. Son pouvoir est indiscutable. Pour asseoir cela, il situe cette phrase au sixièmevers du poème, endroit hautement stratégique. Au vers suivant, Clément est assimilé à la figure de l'Apollon de Cirrha, tueur du serpent Python, modèle de vertu, mais également Dieu des arts et plus particulièrement de la musique. Dans la suite du texte, Vitry décrit la personne du pape sous un jour inhabituel pour l'époque: comme un prince quasi laïque, le pontife côtoyant de près les arts maîtrisant parfaitement l'art du discours musical. Par la suite Vitry adresse au pontife des souhaits et des recommandation. Clément est présenté comme un nouveau Saint-Pierre qui n'abandonnera pas les préceptes de l'Église et du Christ. Enfin nous parvenons au coeur de la dédicace: Tu Clemens es et Clemens diseris / Tu es clément et appelé Clément.
Cette phrase fait le lien avec le Triplum: Petre Clemens, tam re quam nomine que nous avons vu plus haut. En rendant hommage au pape, Vitry s'implique directement au propos du poème. Il se décrit comme un chantre qui, par sa musique, chante les louanges de son pontife. Le musicien, homme simple mortel, conclut l'oeuvre en désignant Clément VI comme seul légitime.
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